Boulogne, ville martyre
 

     Le 10 juillet 1947, la ville de Boulogne-sur-Mer est décorée de l’ordre national de la légion d’honneur, avec la citation suivante : « Magnifique cité maritime et commerciale déjà atteinte par la guerre de 1914-1918, a subi pendant toute la guerre 1939-1945 l'un des plus durs martyres qu'ait connu une ville française. Ecrasée sous plus de 400 bombardements, assiégée en 1944, la ville de Boulogne a toujours conservé intacts son patriotisme, sa confiance dans la victoire et a été un des foyers les plus actifs de la Résistance. Depuis la Libération, elle donne encore le magnifique exemple de l'ardeur et du stoïcisme de sa rude population qui s'emploie sans faiblir, au milieu des ruines, à la résurrection de la ville et de son port. »
En France, seules 21 villes reçoivent la légion d’honneur suite aux événements de la 2nde guerre mondiale. L’histoire de Boulogne-sur-Mer et de ses communes les plus proches pendant les 5 années de conflit explique cette distinction.

     Boulogne-sur-Mer et ses communes environnantes forment un site particulier, bordé par des falaises dominant la Manche au nord et au sud, et protégé par des monts à l’est. Sur les hauteurs, on trouve des batteries, plus ou moins modernes. Traversée par la Liane, la ville centre se trouve donc dans une sorte de cuvette. D’autre part, la situation de la ville, à proximité immédiate de l’Angleterre, en fait un lieu stratégique pour les opérations militaires de la 2nde guerre mondiale, qu’elles soient alliées ou ennemies. En effet, suite à la signature de l’armistice le 22 juin 1940, seule la Grande-Bretagne s’oppose encore au régime nazi à l’Ouest. Le littoral de la Côte d’opale devient alors le point de départ potentiel d’une invasion de l’Angleterre. Le projet de celle-ci abandonné, il reste un espace privilégié pour le débarquement des troupes alliées.


Les principaux repères géographiques du Boulonnais (Capture d'écran umap)

Les combats de mai 1940

     Dès le 10 mai 1940, le bombardement du terrain d’aviation d’Alprech au Portel marque le début des hostilités. A partir du 14 mai, les bombardements allemands s’intensifient : le port est mitraillé le 19 et dans les jours qui suivent, les troupes s’emparent des batteries côtières. Les Britanniques évacuent la zone tandis que l’aviation alliée échoue à s’imposer dans les airs.
Néanmoins, les troupes françaises réfugiées dans la Haute Ville tiennent jusqu’au matin du 25 mai. Elles acceptent finalement de se rendre et reçoivent les honneurs de la guerre.
Le bilan de ces quelques jours de combat est déjà très lourd : outre les 292 morts parmi les soldats alliés et les 107 morts allemands, on relève 96 civils tués et 80 blessés ; 191 immeubles sont détruits, 109 sont inutilisables.
     Par la suite, Hitler fait de Boulogne-sur-Mer une « forteresse » (Festung), qui englobe la ville depuis les hauteurs de la Crèche, du Mont Lambert, d’Herquelingue, de Saint-Etienne-au-Mont et d’Equihen.

Les bombardements de la RAF (opération Fortitude)

     Le 12 juin 1940, à 16h53, les Boulonnais assistent avec effarement au premier bombardement de la RAF (Royal Air Force). Elle vise le port mais le centre ville est également touché, notamment les « Galeries de Paris ». 14 morts et 18 blessés sont comptabilisés. Si un recensement exact est impossible, on estime que du 12 juin 1940 au 21 septembre 1944, la RAF a mené 500 raids aériens sur le Boulonnais.
L’objectif premier des bombardements est de détruire le potentiel militaire allemand. Mais il s’agit surtout de faire croire à un débarquement allié dans le Pas-de-Calais. Même après le débarquement en Normandie, les bombardements continuent sur le littoral de la Côte d’Opale, dans le but de convaincre l’état-major allemand que le débarquement du 6 juin n’est qu’une étape avant l’invasion finale. Par ailleurs, vers l’intérieur des terres, les alliés bombardent les sites de lancement des V1 et des V2, comme celui de Mimoyecques par exemple. Mais l’imprécision des tirs provoque des dégâts matériels collatéraux: ainsi le 18 juillet 1940, les bombardements rendent la gare maritime définitivement inutilisable et détruisent 3000 m² de hangars sur le port. Et surtout, ils font de nombreuses victimes civiles. Sans viser l’exhaustivité, la liste ci-dessous donne un aperçu du quotidien de la population :
- 2 février 1941 : sur le terrain de la Liane lors d’un match entre les équipes de l’US Boulogne et de l’AS Wimereux : 7 morts, 9 blessés graves
- 23 février 1941 : 70ème raid aérien sur Boulogne : 15 morts, 4 blessés
- 14 août 1941, vers 15 heures : en suivant un axe de la rue du Camp de Droite jusqu’à la rue Leuillieux, en passant par la place des Victoires, la rue Thiers et la rue des Pipots : 126 tués, autant de blessés ainsi qu’un nombre élevé de maisons détruites
- 28 janvier 1942, entre 22 heures et 23 heures : 11 morts à Boulogne-sur-Mer, 8 morts à Outreau, 8 morts à Saint-Martin
- 1er avril 1942, dans l’après-midi : quartier de Brequerecque et centre-ville : 48 morts
- 4 juin 1942, vers 16h20 : 22 tués, 40 blessés
- 8 et 9 septembre 1943 : des raids meurtriers s’abattent de nuit sur le Portel : ils font plus de 500 morts et détruisent la ville à 95%.
      De nombreux bombardements ont lieu dans la journée. Or, pendant un temps, les Allemands interdisent l’usage des sirènes d’alerte. La nuit, les Boulonnais prennent l’habitude de se réfugier dans les caves, privées ou « publiques » : il en existe plus de 1400, la plus vaste étant celle de la crypte de la cathédrale, qui abrite jusqu’à 600 personnes.


Le port et Capécure, cibles répétées des bombardements (Archives municipales de Boulogne-sur-Mer)

Sur la carte, vous pouvez retrouver la localisation de ces principaux bombardements.

La préparation des combats de la Libération et l’opération Wellhit

     Après une relative accalmie, les bombardements reprennent au printemps 1944. Face à leur violence, la population de la ville fuit de nouveau : entre le mois de mars et le mois de juin, le nombre d’habitants passe de 15 293 habitants à environ 6000.
Trois exemples ont particulièrement marqué les esprits :
- dans la nuit du 11 au 12 mai 1944, 2000 bombes explosives tombent sur Boulogne et Outreau : on compte au moins 128 morts pour les 2 villes et près de 200 blessés
- dans la nuit du 24 au 25 mai, au moins 1500 bombes explosives sont lâchées sur St-Martin, Outreau, Le Portel et Boulogne-sur-Mer ; or deux abris sont touchés rue d’Aumont : à cet endroit, un bilan précis est impossible (au moins 100 morts)
- le 15 juin 1944, entre 22 h 35 à 23 h 10, 15 000 tonnes de bombes sont lâchées sur le port mais la visibilité est mauvaise : près de 2000 immeubles du centre ville et des quartiers populaires qui bordent le port sont détruits, des dizaines d’incendies se déclarent en même temps. On dénombre au moins 150 morts.


Le 15 juin 1944, le centre ville depuis le pont Marguet (Archives municipales de Boulogne-sur-Mer)

     Début septembre, le major général canadien Spry met au point l’opération « Wellhit » destinée à libérer la forteresse de Boulogne.
Le 4 septembre, l’état de siège est proclamé par l’infanterie canadienne. Les quelques milliers de civils restants sont évacués dans les jours suivants. Plusieurs résistants participent aux combats de la Libération en tant que FFI (Forces françaises de l’intérieur, nom donné à l’ensemble des formations militaires des mouvements de Résistance).
Les opérations débutent réellement le 17 septembre par le pilonnage des Monts du Boulonnais par des bombardiers. Puis l’infanterie, guidée par les FFI du groupe La Capelle-Le Wast attaque, tandis que des chars tentent de progresser malgré les mines, l’artillerie, et les trous provoqués par les bombardements. Après d’âpres combats, les Canadiens parviennent à s’emparer d’une grande partie de la zone. Au même moment, à Boulogne, les Allemands font sauter les ponts de la Liane avant que les chars britanniques ne les atteignent.
Le 18 septembre, la Haute Ville et l’essentiel de la Basse Ville sont libérées. Dès 11 heures, le drapeau français est hissé sur le beffroi. Le soir, le Mont-Lambert est complètement dégagé. Dans la nuit, des soldats de l’infanterie franchissent la Liane sur les décombres du pont de la Lampe.


Les Canadiens dressent un pont sur la Liane (Archives municipales de Boulogne-sur-Mer)

Le 21 septembre 1944, à 17 heures, le fort de la Crèche est touché par le dernier « véritable » bombardement de la guerre.
Au niveau d’Outreau, de Saint-Etienne-au-Mont, d’Equihen puis du Portel, des combats très meurtriers se poursuivent jusqu’au 22 septembre, date à laquelle, à 16h20, le Général Heim offre sa reddition puis signe la capitulation au Fort d’Alprech.


La reddition du Lieutenant Général Heim (Archives municipales de Boulogne-sur-Mer)

Après la libération, la ville fut déclarée sinistrée à 85 % : sur les dix mille immeubles recensés avant guerre, 5 200 étaient détruits, 4 000 très endommagés.